Je sais qu'la vie est si amère
Tant de fois elle m'a mise à terre
Mais quand mon âme crie "à l'aide" je ferme les yeux et je prie amen
Y'a tellement d'âmes en tristesse
Y'a tellement d'âmes qui pleurent
Tous ces appels en détresse, ces cris qui résonnent de douleur

Non loin du parc Denali se trouve une petite clinique vétérinaire bien entretenue, récemment reprise par Craig Ewing lui-même, préférant de loin être son propre chef pour ne pas être jugé par rapport à ses erreurs du passé. C’était une journée plutôt ordinaire. L’aube servait à faire le tour des quelques fermes ou refuges animaliers du coin, faire le point, se présenter, donner sa carte et bien évidemment : soigner les animaux nécessiteux. Cela faisait déjà un mois qu’il s’était installé à Whitehaven et il commençait à se faire une bonne petite clientèle. Il y avait déjà Madame Smith qui était une vieille dame vivant seule avec ses chats, et des chats, elle en a tellement que chaque jour, elle est capable de venir pour faire ausculter l’un de ses minous. C’est triste de voir les personnes âgées être si seules, que la moindre excuse pour sortir et papoter devient l’animation de la semaine. Faire les courses et discuter avec la caissière, aller chez le médecin, aller chez le vétérinaire. Chaque instant compte… Et quand on n’a plus rien que soi-même, et nos petites bêtes, cela devient dur de tenir.

Souvent Craig se comparait à ses vieilles dames et se demandait s’il finirait seul, s’il retrouverait Lexy ou s’il verrait à nouveau ses fils. Il avait bien tenté de la joindre sur son numéro de téléphone, mais elle avait changé depuis le temps. Oui, il n’avait pas grand espoir de renouer avec sa famille… Et puis le temps avait changé depuis. En parlant d’elle, Madame Smith était là, avec Grelotte, une petite femelle qui était pleine. Craig tenta de la convaincre qu’il faudrait la stériliser elle, et tous ses petits quand elle mettrait bas, qu’il en allait du bien être de l’animal… Et la vieille dame consentit à y réfléchir. C’était déjà une petite victoire, s’il arrivait à faire stériliser tous les chats de cette vieille dame, cela réduirait déjà pas mal la quantité de minous abandonnés en ville. Fort heureusement, Grelotte n’attendait que deux petits. Fait assez rare pour une chatte mais pas impossible.

Une bonne petite pause à midi, puis finalement une urgence, une jument prête à mettre bas. Alors il se rend à l’écurie concernée et aide la belle à devenir mère. Le poulain est si beau, il est vaillant et deviendra certainement une bonne bête de travail. Il reste quelques temps à surveiller la jument et le poulain, à écouter les inquiétudes potentielles des propriétaires. Il accepte le café offert et rentre à la clinique en fin d’après-midi. Le soleil est si beau dans le ciel qu’il fait briller la neige au sol. La jeep de Craig peine un peu à se dépatouiller et glisse un peu de temps en temps. Il ferait mieux d’installer des pneus neige… Arrivé à la clinique il enfile sa blouse blanche et se sert un nouveau café, prêt à remplir ses dossiers de la journée et préparer les factures des clients.

C’est à ce moment-là qu’il a tambouriné à la porte jusqu’à ce que le vétérinaire daigne ouvrir la porte. Il haussa un sourcil devant ce ‘’petit’’ gars devant lui. Bon il le dépassait d’environ 5 centimètres mais il paraissait extrêmement jeune. Craig se désigna de haut en bas sans rien dire avant de lâcher calmement.

« Euh alors… J’ai la blouse blanche, je pense que c’est moi du coup. J’suis là »

Tenter de faire de l’humour maladroit ça plait aux humains parfois non ? Parce que bon, c’est toujours compliqué pour Craig d’être à l’aise dans une conversation. Il ouvrit un peu plus grand la porte comme pour l’inviter à entrer.

« Qu’est-ce que je peux faire pour toi ? »

Allez, un petit sourire avec tes belles dents blanches. C’est censé être rassurant, non ?

Je t'emmènerai loin du vide sur le bord d'une plage
Je veux te voir encore sourire et pour de bon tourner la page
Envole-toi loin d'ici et bat des ailes sur un nuage
T'es un aigle royale pas un oiseau en cage

Attendez, il fait de l’humour là ? Oui ou non ? Non parce que si ce n’est pas une blague cela ne se fait pas de rire, mais si c’est une blague cela ne se fait pas non plus de ne pas rire. Craig hésita quelques secondes, interloqué, se disant qu’il ne comprenait absolument rien au genre humain. Si le langage d’un animal était presque toujours clair, celui des humains avait tellement de facettes qu’il lui était souvent impossible de tout bien interpréter. Pourtant, il en faisait des efforts. Craig finit par se passer une main dans les cheveux, embarrassé et de laisser souffler un petit rire par le nez, bref.

« Je crois que je suis sûr. Je suis vétérinaire. Craig Ewing, enchanté. »

Il était coutume de se présentait lorsqu’on rencontrait une nouvelle personne, surtout quand tu es l’étranger de la situation. Mal à l’aise, le vétérinaire ne savait pas trop ce qu’il devait faire pour s’intégrer à cette bourgade étrange.

Avec la porte entre-ouverte, le froid s’engouffrait dans la clinique, faisant légèrement rougir les joues et le bout du nez de l’ex détenu. On s’habitue au froid quand on vit en Alaska, on sait que ses hivers sont rudes. Mais après avoir été enfermé pendant dix ans, avec peu de sorties, il est vrai qu’on redécouvre chaque petit rayon de soleil, et qu’on profite de chaque petit courant d’air glacé traversant vos bronches. La vie, reprend un tout nouveau goût. Il écouta la demande de l’adolescent et acquiesça rapidement, il comprit la situation. Encore une histoire de chat. Il lui fit un signe de la main pour l’inviter à entrer et s’aventura directement dans la clinique. Il traversa la salle post-op où un gros chien blessé était couché dans une grande cage, perfusion à la patte, visiblement endormi. Craig eut un bref regard pour lui, s’assurant qu’il dormait toujours avant d’ouvrir un local et d’attraper une caisse de transport.

« C’est un chaton, ou un chat adulte ? » Demanda-t-il en vérifiant que la porte en métal de la cage en plastique était bien sécurisée. Il attrapa un plaid dans ce même local qu’il fourra dans la caisse sans grande peine.

Il écoutait les paroles de cet adolescent qui semblait vouloir lui apprendre son propre métier, il s’en amusa mais secoua la tête rapidement, semblant réfléchir tout en avançant dans la salle de soin adjacente, là il alluma un chauffage d’appoint, pour préparer la pièce en cas d’hypothermie.

« Par un temps pareil, le chat peut être en très mauvais état sans qu’on ne s’en rende compte. Une fois attrapé il aura besoin d’être frictionné et massé sans relâche pour le réchauffer et réactiver son afflux sanguin. »

Il retira sa blouse blanche pour enfiler un manteau chaud.

« Je viens avec toi, tu sauras grimper à l’arbre où on doit trouver une échelle ? » Demanda-t-il en prenant les clés de la clinique avec lui tout en se dirigeant vers la sortie, d’un pas décidé.

Tyler. Joli prénom. Il aurait pu être son fils s’il l’avait eu encore plus jeune qu’il n’eut Arthur… Enfin, Lexy en aurait été capable. Il se mordit la lèvre à l’évocation du souvenir de sa famille, et chassa ce souvenir d’un geste las de la main, comme s’il chassait une mouche invisible, grognant un peu dans sa barbe. Il avait passé dix ans à ressasser son mariage raté et à penser à ses fils qui grandissaient sans père. Il espérait au fond que Lexy avait trouvé quelqu’un d’autre, et qu’elle avait refait sa vie, et qu’elle était heureuse maintenant. Il espérait que cet homme était un vrai père pour sa progéniture, et que peut-être, quelque part, l’un d’eux pensait encore un petit peu à lui… Juste un petit peu… pour se sentir exister. Être quelqu’un aux yeux de petits êtres si importants. Car, quand il avait croisé le regard de ses fils la première fois, c’est peut-être la première fois de sa vie qu’il s’était senti aussi complet et enfin appartenir à une famille, enfin il comprenait l’Humain, car il avait créé l’Humain et il aurait pu les façonner à son image, il aurait pu les aider à grandir, s’élever et devenir des êtes meilleurs…
Mais il vieillirait surement seul dans cette bourgade.
Seul.
Oublié.

Putain. Il serra le poing alors qu’il fermait à clé la clinique vétérinaire pour suivre l’adolescent, pour sauver un pauvre chat qui était grimpé trop haut. En vérité, les chats finissent toujours par trouver un moyen de redescendre, même si cela peut leur prendre deux ou trois jours. Mais avec le froid qu’il y a dehors, en imaginant qu’il y soit maximum depuis hier déjà, il risque une sacrée hypothermie. Il ne faut pas négliger cela.
Heureusement que Tyler semblait apparenté à un ouistiti. Un ouistiti croisé d’un Monsieur-je-sais-tout. La pire espèce au monde. Mais il était jeune, et un peu prétentieux, peut-être avait-il des connaissances, mais toujours est-il que le vrai soigneur, c’était Craig en l’occurrence. Il n’insista pas et n’alla pas contre lui.  Caisse de transport avec la couverture dedans à la main ils se dirigea avec prudence dans la neige, habitué à marcher dedans mais nous ne sommes jamais à l’abris d’une glissade ridicule.

« Ah oui en effet. » Dit-il en voyant la boule de poils orange crispée sur sa branche, tremblant, et miaulant à en perdre haleine. Mh pauvre bête. Il se demandait depuis combien de temps il était là, mais il semblait éreinté. Craig ouvrit la caisse de transport qu’il posa dans la neige et réparti la couverture à l’intérieur pour créer un enclos chaud et rassurant. Cela leur permettra de ramener l’animal au chaud à la clinique sans qu’il ne s’épuise à essayer de se défendre contre eux, potentiels agresseurs. « Fais attention à ce qu’il ne te griffe pas. » Fit-il simplement en se disant intérieurement qu’il avait déjà assez de cicatrices sur le visage.
Il admira le gamin monter à l’arbre, se disant que même s’il avait fait beaucoup de sport depuis la prison, il n’était pas capable de grimper avec une telle souplesse : la force et la souplesse c’est deux choses différentes. C’est à peine si Craig parvient vraiment à toucher ses orteils quand il se baisse. Il restait sur le qui-vive, on ne sait jamais si le gamin tombait. Mais non, tant mieux. Il le vit récupérer le chat avec soulagement, et quand il fut à portée, il ouvrit le manteau et récupéra le chat pour le coincer vivement dans le manteau et commencer à le frictionner. Comme Craig se l’imaginait, l’animal se mit à feuler et tenta de se débattre. Il soupira.

Tyler n’existait plus. Il n’avait d’yeux que pour l’animal. Il lui murmura quelques paroles incompréhensibles, parlant toujours sur un ton très doux, détournant volontairement le regard lorsque le chat le fixait pour lui monter qu’il n’était pas une menace : mais l’animal était paniqué, le garder dans ses bras allait le forcer à s’épuiser. Alors il n’insista pas et se baissa pour le pousser dans la caisse de transport molletonnée et refermer vite derrière ses fesses. Dans la caisse il faisait sombre et le froid était coupé par la couverture à l’intérieur. Le chat miaulait toujours, mais au moins, il ne se débattait plus.
« Tout va bien mon gars. On va te réchauffer et te donner à manger et à boire. » Il redressa le visage vers Tyler et finit par lui tendre son manteau avant d’attraper la caisse de transport. « Il est épuisé. Il doit être là depuis un moment. » Fit-il pour l’adolescent en se détournant, repartant directement vers la clinique sans perdre de temps. Il marchait d’un pas rapide sous les miaulements du chat, et tout le long de la route, Craig lui répondait et parlait tout le long de la route, doucement, d’une voix calme, pour que le chat s’habitue à sa présence et au son de sa voix. C’est une méthode utilisée d’habitude pour habituer un chat sauvage au contact des humains, lui parler non-stop pour qu’il s‘habitue à entendre des sons humains.

Ils arrivent à la clinique, Craig laisse Tyler le suivre, il va directement à la salle de soin qu’il a surchauffé, en effet, il fait vraiment chaud. Il ferme la porte derrière Tyler, dans son monde, concentré sur le chat qui semble calmer ses miaulements en humant l’air désinfecté de la pièce. Derrière lui, Craig allume un incubateur et règle le thermostat.
« Tiens, aide moi, tu vois le placard là ? Tu peux remplir une gamelle de croquettes pour chat, et une gamelle d’eau, et poser le tout dans l’incubateur. Il va manger un bout au chaud pour reprendre des forces, quand j’aurais fini de le frictionner… »
Il ouvrit la caisse, et invita l’animal à sortir, évidemment, il n’en fit rien, mais Craig le sortit de là avec aisance : il n’était pas méchant, il avait juste peur. Il le garda enroulé dans la couverture et se remis à lui parler de tout et de rien, tout en frottant vivement son corps dans la couverture, afin de réactiver correctement son flux sanguin et sécher un peu son poil. « Il faudra aussi vérifier si ses pattes n’ont pas été blessées par le froid… »

Il avait remarqué que le petit s’était blessé. Il jugeait juste que l’état du chat était plus important que celui de l’adolescent. Il s’occuperait de lui après. Il se contentait de réchauffer le chat pour le moment. Le détendre, avoir sa confiance afin qu’il puisse le soigner tranquillement sans trop lui administrer de tranquillisant même si, vu la blessure à sa patte, il serait soit obligé de le sédater, soit de le faire tenir par le gamin. Il haussa un sourcil en y pensant. Le gamin semblait plutôt dégourdi, il pourrait lui servir. Il relâcha le chat qui resta un peu transit sur la table de soin et fit signe à l’adolescent.

« Tiens le, et frictionne le pour forcer le sang à circuler ok ? Je vais préparer le matériel. Tu vas m’aider à le tenir pour sa patte après. »

Le jeune papa retira enfin sa veste pour remettre sa blouse blanche de médecin et préparer le nécessaire. Une pince, du désinfectant et potentiellement des pansements si besoin, mais il ne pensait pas cela forcément très nécessaire. Il jeta un coup d’œil vers l’adolescent, vérifiant qu’il ait bien la situation en main. Il l’avait vu se ‘’soigner’’ à sa façon devant lui. Ouais, il ne dirait rien pour le moment, mais on aurait dit un petit enfant sauvage qui n’en est pas à sa première bataille. Et vu les cicatrices qu’il voyait sur son visage, il semblait carrément ne pas être à sa première guerre.
Craig se détourna pour attraper la couverture de la caisse de transport pour la plier en deux et l’installer au fond de l’incubateur, reposant les gamelles au-dessus et vérifiant la température. Pendant qu’il faisait cela, il expliqua.

« On utilise cet incubateur pour les animaux frigorifiés, ou alors pour laisser les chatons se sécher au chaud quand on leur donne un bain contre les puces et qu’ils sont trop jeunes pour les produits. »

Il posa son regard sur le chat un instant, un vague sourire traversant sa barbe.

« On laissera notre nouveau copain de reposer dedans, reprendre des forces et manger pendant qu’on cherchera ses maitres s’il est pucé. » Oui, car c’était un mâle, il était très rare qu’un chat roux soit une femelle. Mais il avait eu le temps de vérifier, ils avaient bel et bien un petit mec sur les bras.

Il revint vers le duo, s’approchant de la table de soin en tirant derrière lui une petite table en inox sur roulettes où se trouvait tout son matériel. Il ouvrit quelques compresses et mis du désinfectant dessus, avisant rapidement du sang accumulé sur la patte du chat. Une griffe retournée peut être très impressionnant car le chat possède de nombreux vaisseaux sanguins à la base des griffes, ce qui fait que cela saigne beaucoup, mais ce n’est pas très grave, il faut juste faire attention aux infections.

« Bon, je vais m’occuper de sa patte mais je n’ai pas envie de le sédater pour ça. Tu vas le maintenir fermement entre toi et la table ok ? Caresse-le, parle lui, ça va le détendre. Il n’est pas sauvage, il n’a pas peur de l’homme. »

Il attendit que Tyler avant de prendre délicatement mais fermement la patte du chat entre ses doigts à présent gantés. Il observa la plaie et commença d’abord par nettoyer un peu le sang avec ses compresses humides. Il remarqua alors que la griffe avait été totalement arrachée, ce qui faisait qu’il n’avait pas à l’arracher lui-même. C’était déjà une bonne chose. Pendant ce temps, le chat miaulait plaintivement et se tortillait un peu, pas vraiment content qu’on l’embête encore après toutes ces émotions. Ce qui était à l’avantage du vétérinaire, c’était que l’animal était déjà épuisé après s’être battu contre les éléments. Rapide, concentré, Craig désinfectait la plaie avec soin. Il fallait faire vite pour ne pas abuser de la patience de son petit patient poilu. Il se redressa pour attraper des compresses sèches et lui faire un pansement sec autour de la patte qu’il fixa soigneusement. Sa petite patte était maintenant entourée d’un joli pansement blanc. Il vérifia alors que tout était en place, avant de relever le regard vers Tyler, lui offrant un joli sourire satisfait.

« Tiens le encore un peu, je vais lui injecter un antibiotique et tu pourras le poser dans l’incubateur pour qu’il se repose, se réchauffe et reprenne des forces. » Fit-il en s’éloignant pour préparer la seringue.

Il revint rapidement vers eux et commença à masser la cuisse droite du chat, se positionnant à côté de Tyler, il lui jeta un regard comme pour s’assurer qu’il tenait bien le chat et piqua pour lui injecter la médecine. Le chat se crispa mais resta sage. Quelle chance. Craig le caressa avec douceur et lui murmura qu’il était beau, et qu’il s’était montré très brave. Suite à quoi, Tyler pourrait ranger le chat dans l’incubateur et le laisser un peu tranquille.  Craig lui, rangeant son matériel et retira ses gants pour en enfiler des neufs, et ressortir une compresse.

« A toi maintenant Tyler. Remonte ta manche et montre-moi ton bras. » Dit-il d’un ton qui n’autorisait pas le refus. Il fronça les sourcils et attendit, main tendue que Tyler procède.

Tyler était un bon élève. Et cela faisait plaisir à Craig d’avoir un assistant qui effectuait au pied de la lettre ce qu’il lui indiquait de faire. Et ça, c’était de l’or en barre. Il aurait pu jouer son je-sais-tout, et le contredire, et tenter d’avoir l’ascendant sur lui. Non, pourtant non. Il se contentait d’obéir aux demandes du vétérinaire et cela aidait à bien s’occuper du chat. C’était efficace. Son regard se posa sur l’incubateur, une fois que le chat fut dedans il le referma tranquillement pour laisser le chat se remettre de ses émotions. Le rouquin s’approchait avec lenteur des gamelles, le reniflant avec méfiance. Craig attendit qu’il commence un peu à manger avant de détourner son regard de l’incubateur pour se concentrer sur l’adolescent qui vraisemblablement n’avait pas très envie de se faire soigner. Le vétérinaire fronça les sourcils et croisa les bras sur son torse, le toisant avec un peu de froideur, on ne rigole pas avec les soins.

« Ne fais pas l’enfant s’il te plait, je n’ai peut-être pas prêté de serment d’Hippocrate mais je ne peux pas te laisser sortir avec ça sur le bras. » Fit-il remarquer simplement.

Bien loin d’imaginer la raison du refus de l’adolescent, Craig interprétait cela comme de la politesse un peu gênée, couplée à de la timidité. Il se passa une main dans les cheveux et lui offrit un petit sourire charmant avec ses dents parfaites. Il pencha un peu la tête sur le côté et lâcha un petit soupire.

« Je te jure que cela ne me dérange pas, le matériel est prêt et en plus de ça on ne rigole pas avec ça, le tétanos fait encore des ravages de nos jours, même parmi les gens vaccinés, faut pas croire. »

Il eut un nouveau sourire, tendre, terriblement gentil le petit Craig. Il se souvint alors d’une anecdote d’une jeune femme ayant eut deux fois le tétanos alors qu’elle était vaccinée. Oui, comme quoi ces trucs-là, ce n’est pas forcément une sécurité. Et puis, si Craig ne voulait pas laisser tomber c’est peut-être aussi parce qu’il se sentait responsable de ce qu’il s’était passé. Peut-être même qu’il pensait que s’il s’occupait bien de ce gamin, quelque part en Alaska, quelqu’un s’occupait bien de ses gamins à lui. Etaient-ils aussi dégourdis que Tyler ? Certainement pas… Lexy était une femme des villes. Cela l’aurait bien étonné qu’elle soit à présent à la campagne. Enfin en dix ans, tout le monde change… Même toi Craig.
Son regard se perdit dans le vide en même temps qu’il se perdait dans ses pensées, subitement songeur. Il se demandait à nouveau où ils étaient, s’ils étaient heureux, s’ils mangeaient à leur faim. Est-ce qu’ils avaient des animaux de compagnie ? Est-ce qu’ils pensaient parfois à lui ? Est-ce qu’ils pleuraient leur père parfois la nuit ?

Il finit par hausser les épaules, quittant sa bulle en entendant le miaulement du chat qui se roulait en boule dans sans couveuse. Il eut un sourire tendre, et se mordit la lèvre inférieure avant de reposer son regard sur l’autre animal sauvage présent dans la salle de soin.

« Tu vois, le chat il est content de ses soins. C’est ton tour maintenant. Je veux juste désinfecter ton bras. »

Il semblait réticent à l’idée de se faire soigner, mais la conscience de Craig n’allait pas laisser cela arriver. Il fallait au moins qu’il désinfecte et bande l’ouverture, ce n’était peut-être qu’une griffure de branche, il pouvait il y avoir des tas de bactéries là-dedans, et une plaie ouverte est une ouverte aux infections dans le corps. Et ce gamin était peut-être majeur, cela n’empêchait pas le vétérinaire de le considérer comme un gamin. Un gentil gamin. Un peu casse-pieds, mais un gamin quand même. Au moins, tous les deux, ils avaient pu sauver un chat.
Au miaulement, son regard se posa aussi sur l’incubateur. Il allait le laisser se remettre un peu avant de vérifier s’il était pucé et s’il avait des propriétaires. Il espérait que oui, il ne se voyait pas abandonner cet animal dans un refuge quelconque. Quoi que, la vieille dame aux chats le prendrait surement sous son aile. Il reporta son attention sur l’adulescent face à lui avant d’arquer un sourcil à sa remarque, plus ou moins surprit, mais en fait pas tant que ça, vu la gueule de ce type, il semblait bien être un habitué des conditions plutôt compliquées de vie dans un village de ce genre. Il se contenta de pencher la tête avec un petit sourire amusé.

« Je ne me suis jamais pris de balle, ça doit faire un mal de chien putain… » Fit-il en frissonnant rien que d’y penser.

Il ne remarqua pas vraiment les rougeurs du jeune homme, du moins, il occulta volontairement cette vision de son esprit en secouant la tête, le laissant se perdre un peu avec le chat en vérifiant son matériel pour reprendre une légère contenance face à cette adversité incroyable. Il secoua cependant la tête en ayant un petit rire soufflé du nez en levant les yeux au ciel.

« Je n’ai que 36 ans, je ne suis pas un vieux con à ce point pour te dire des trucs pareils. Je m’inquiète juste de ta santé. » Soigner les petits animaux sauvages, c’est son métier non ?

On aurait dit un renard trappé dans un coin. C’est dingue ça, juste pour une griffure. Mais bien loin de s’imaginer ce qui tracassait réellement l’esprit de son patient de fortune, Craig restait dans le même état d’esprit : désinfecter la plaie et puis c’est tout.
Mais contre toute attente, il le vit poser le coude sur la table de soin qu’il venait de désinfecter après le passage du chat. Et Craig ne pu contenir son sourire ravi. Il remit bien ses gants et pris son matériel en s’approchant tranquillement. Il se retint de faire une remarque sur le tétanos car c’est justement à cause d’une branche d’arbre que la jeune femme avait attrapé le tétanos par deux fois en étant vaccinée. Il posa ses doigts gantés sur le poignet fin du jeune homme et l’attrapa avec douceur pour le tirer un peu vers lui afin qu’il soit tendu sur la table de métal froid. Il remarqua les bleus, les coupures, les différentes marques qui ornaient sa peau comme les bijoux qu’une femme pourrait porter. Il s’inquiéta bien évidemment mais ne fit aucune remarque par politesse, ou du moins, il se contenta d’un petit commentaire pour détendre l’atmosphère.

« Et bien, ça se voit que t’as l’habitude de grimper aux arbres, t’es bricoleur aussi ? » Assumant de lui-même que ces marques étaient sûrement dues au fait qu’il devait-être casse-cou.

Craig observa la plaie quelques instant, un peu de sang perlait, un peu avait séché directement sur la plaie. C’était tout de même un peu plus profond qu’une simple entaille. Alors Craig vida la moitié d’une pipette de sérum physiologique sur la compresse pour d’abord nettoyer toute la plaie, tranquillement, des gestes doux mais fermes. Il nettoie le contour aussi, s’appliquant. Pendant qu’il le soigne, il est proche de lui, mais concentré sur ce qu’il fait, le regard rivé sur la plaie.

« Alors ça va piquer un peu, mais rien de bien douloureux par rapport à une blessure par balle. » Fit-il en préparant une seconde compresse.

Sur celle-ci il avait mis une solution orangée antiseptique et il frottait à nouveau la plaie, sa peau se colorant d’orange à la suite du passage de la compresse. Craig reposa son matériel et observa la plaie de plus près, s’assurant qu’il n’y avait plus de débris de bois ou quoi que ce soit dans cette petite mais longue plaie. Il se mordit la lèvre, satisfait, alors que ses doigts glissaient le long du bras de l’adulescent.

« Moi aussi. » Dit-il pout le chat, finalement. « Et au pire des cas, je lui trouverais une famille aimante, on ne peut pas le laisser retourner dehors. » Fit-il simplement avant de se redresser pour attraper une compresse propre qu’il plia en deux et plaça sur toute la longueur de la plaie.
À la suite de cela, il prit une bande et commença à faire le tour de son bras soigneusement, attachant le bandage une fois ce dernier terminé d’être déroulé. Il eut un sourire satisfait et replongea son regard dans celui de Tyler, content de lui-même.

« Tiens, pendant que je nettoie tout ça, tu veux lui biper le cou pour voir s’il a une puce ? » Il retira ses gants et ouvrit un tiroir où se trouvait comme une sorte de pistolet futuriste, jaune, servant à biper la puce des animaux. « Tu prends ça, et s’il est identifié, ça s’affichera à l’écran du pistolet. Généralement, la puce est au niveau de la jugulaire gauche. » Ajouta-t-il avant de se détourner en emportant sa petite tablette de métal pour jeter tout son matériel à la poubelle et nettoyer les différentes surfaces.

Après tout, le gamin avant été d’une bonne aide, autant l’impliquer davantage et le laisser profiter aussi des petits bonheurs du métier : passer du temps avec les animaux.