- Mais si ! Je te jure que mon mari y est allé, et il était re-quin-qué ! Un vrai bonheur !
- Boooarrf non moi j’y crois pas à ces trucs-là. C’est que de l’eau comment ça peut faire du bien !
- Oh mon vieux Bob ! Si tu buvais aut’ chose que ta vinasse peut-être que tu saurais que d’l’eau ça fait du bien !

Quand la vieille Martha et son petit Yorkshire, et le gros Bob et son rottweiler discutaient, ça partait toujours en débat. Et dans la salle d’attente, ça y allait de bon cœur. Craig les écoutait d’une oreille distraite, découvrant les us et coutumes de cette bourgade, se demandant comme il pourrait s’intégrer au mieux, et comment il pourrait faire des choses que seuls les gens d’ici faisaient. C’était étrange, alors qu’il avait toujours vécu en Alaska, il se sentait comme un parfait étranger au milieu de ces gens qui le jaugeaient souvent de haut en bas, et murmuraient des choses derrière son dos. Oui il était étrange pour un vétérinaire d’avoir un air aussi maussade, oui il lui manquait des doigts, oui il faisait un peu peur. Oui il avait le regard dur avec sa cicatrice dans le sourcil. Oui oui oui tout ça.
Mais cela commençait à l’agacer, voilà à peine trois semaines qu’il était là, et le voici déjà sujet de rumeurs et piaillements dans sa propre clinique. Tranquillement, il termina les vaccins du chat d’une jeune femme, et la raccompagna à la porte avant de s’occuper enfin de la vieille Martha. Ce serait ensuite autour du gros Bob.
Ce n’était qu’un contrôle de routine pour l’animal c’est pourquoi il s’autorisa à la questionner sur le sujet de la discord entre elle et le gros monsieur. Elle lui raconta alors que son mari avait été aux bains nordiques en ville, et qu’il en était revenu requinqué comme jamais. Des bains nordiques ? Tiens donc. C’est peut-être un endroit sympa pour rencontrer des gens. Et peut être qu’en faisant trempette dans un bain d’eau chaude sous la neige, les gens le considéreraient peut-être enfin comme un vrai Alaskien.

Il garda tout cela en mémoire, et ce ne fut que trois jours plus tard, après la fermeture de la boutique qu’il décida d’aller se détendre un peu aux bains. Il faut dire, la journée avait été éprouvante, deux opérations compliquées sur deux animaux différents, rassurer les maîtres, s’occuper de ceux qui sont toujours en examen dans la clinique, vérifier que tout va bien, et enfin, peut être enfin, s’occuper de toute la paperasse. Il devrait peut-être songer à embaucher un assistant vétérinaire. Toujours est-il qu’il conduisit sa vieille jeep en ville, longeant le parc pour rejoindre le centre, se garant non loin de Pioneer Avenue pour terminer le chemin à pieds. Sur son épaule, un petit sac pour le nécessaire à piscine et alla s’acheter un billet, un peu perdu. La demoiselle à l’accueil lui fit un sourire charmant, mais quand il tendit son billet pour payer, à la vie de son index atrophié, elle eut un petit mouvement de recul, minime, mais elle l’a eu quand même. Il soupira, et se dirigea vers les vestiaires pour se déshabiller et enfiler son boxer de bain de couleur kaki.
Il s’observa dans la glace un petit moment avant de soupirer. Il avait encore la forme, il avait fait énormément de sport en prison pour savoir se défendre, maintenant, il n’avait plus à se plaindre. Il avait des épaules larges, il était bien bâti, des pectoraux développés, quelques poils dans être un ours. Il pouvait être fier d’avoir encore de légères tablettes de chocolat, oh elles n’allaient pas rester longtemps s’il ne reprenait pas le sport rapidement et si ses clients lui apportaient toujours de friandises à manger pour le remercier, mais toujours est-il que pour un taulard, il avait fière allure. Mais cela ne l’empêchait pas d’avoir une mauvaise image de lui-même. Il avait laissé pousser sa barbe en prison, et s’il l’entretenait, il ne se voyait plus la raser à blanc.

Hop, direction la douche, il se mouille, se demandant ce qu’il foutait là au fond. Mais bon, sa cliente lui avait dit que c’était bien, c’est que ça devait vraiment être bien. Il se mordit la lèvre nerveusement, stressé comme un premier jour d’école. En plus, quasi-nu. Il traversa les piscines, regardant les différents bassins avec curiosité. Il se décida à faire quelques longueurs rapides, en crawl, afin de faire travailler ses muscles, et de se fatiguer un peu, le plus rapidement possible. Puis une fois à bout de souffle, accroché au rebord du bassin, il se hissa en dehors et se dirigea vers la porte extérieure. Roh, faut vraiment qu’il arrête de fumer, ce n’est pas possible de manquer de souffle comme ça.
Le froid ambiant lui glaça tout le corps instantanément, il crut devenir bleu, et si son pénis avait pu se rétracter complètement et rentrer à l’intérieur il l’aurait fait. Une voix le fait sursauter, alors qu’il se rapproche du bord du bassin nordique pour le pénétrer avec lenteur, laissant échapper un soupir de satisfaction quand la chaleur reprend part de son corps.

« Bon-bonsoir… » Fit-il un peut décontenancé, il espérait au fond de lui que le bassin soit vide.

Il observa l’homme face à lui, avec discrétion. Bon sang, quel homme. Il tenta de ne pas trop le détailler avec insistance, déjà pour ne pas passer pour un mec un peu trop chelou et ensuite pour ne pas passer pour un gros pervers. Il tenta de se donner un air détendu et habitué, mais ça se lisait sur son visage qu’il était autant à l’aise qu’un poisson au milieu du Sahara.

« Vous venez souvent dans le coin ? » T’as pas pire comme question, trou du cul ?

Pff… Ce bain nordique allait être long…

Allez, on se détend Craig, tout va bien se passer. Ce n’est qu’un simple bain, avec un autre homme. Tu sors de dix années, enfermé avec des tas d’hommes, ce n’est pas un petit bain qui va te faire paniquer. C’est juste que la vie sociale en prison, ça commençait à devenir facile pour toi, tu commençais enfin à t’y habituer et voilà que tu devais sortir de là, et de retrouver face à un ours dans un bain. Et quel ours… Hm… Le vétérinaire en profita pour le détailler discrètement, se demandant si l’homme ne finirait pas représenter une menace ou non.
Allez, un peu de détente. Il soupire, ferme les yeux s’installe confortablement, face à l’autre homme, pour profiter de l’ambiance chaude et relaxante du bain nordique. Oui, pourquoi n’avait-il jamais fait ça alors qu’il avait vécu toute sa vie en Alaska ? Allez savoir. Toujours est-il qu’il allait devoir supporter un exercice en apparence simple : Se sociabiliser avec l’homme face à lui, se faire connaître et si possible, laisser une bonne impression.

A sa réponse, ils e contenta d’esquisser un simple sourire derrière sa barbe, haussant les épaules.

« Oui, je suis nouveau, et c’est la première fois que je teste ce genre de bains… » Fit-il dans un souffle, tentant de se montrer avenant.

Pourtant, cela transpirait de partout qu’il n’était pas à l’aise. Mais il faisait des efforts, il était là pour une nouvelle vie. Il n’était plus le meurtrier. Il serait alors le vétérinaire. Le jeune papa célibataire. Il serait un homme qui sauve des vies. Les vies d’autres animaux oui. Il se dit alors que se présenter, cela pourrait être bien. Il se passa une main dans les cheveux, les plaquant en arrière, avant de lisser sa barbe pensivement.

« Je me présente, Craig Ewing, j’ai repris la clinique vétérinaire le mois dernière, celle près du parc. » Ajouta-t-il en tendant sa main vers lui pour la lui serrer.

Puis il se dit que serrer la main d’un homme alors qu’ils sont tous les deux à moitié nus dans un bassin, ça ne se faisait pas. Et puis les gens ont tendance à avoir un geste de recul en voyant ses bouts de doigts en moins. Du coup, hésitant, il recule sa main, avec un air gêné. Il se racle la gorge et lâche un profond soupir avant d’avouer, à mi-voix.

« Je ne suis pas vraiment à l’aise, désolé.. Je ne pensais pas qu’il y aurait quelqu’un, je ne sais même pas pourquoi je suis venu. »