I’m just a man I’m only flesh and bone

S'il avait su l'homme qu'il allait devenir, il aurait trouvé ces séances de prières avant le repas encore plus ironique. Chaque soir, alors que son père gardait les yeux clos, il les gardait ouvert. Il avait testé une fois lors de ses huit ans, d’entrouvrir un oeil avec la peur au ventre que son père n'attendait qu'une erreur pour lui taper la tête, mais à sa surprise, il comprit que son paternel ne pouvait le voir, trop prit dans ses propres croyances. On pourrait y voir le premier signe de rébellion chez le jeune homme. Donc depuis, il prenait ces deux longues minutes pour refléter sur tout et n'importe quoi. Parfois, son regard s'égarait vers sa gauche, au-delà de la fenêtre, au delà de son toit pour s'interroger sur la vie chez la maison voisine, son vrai havre de paix. Parfois, il observait son père et ce qu'il voyait était filtré par ses émotions changeantes au cours des années. La peur y passa, la curiosité, puis l'animosité. Il ne croyait pas sa malchance la plupart du temps. Même petit, alors qu'il ignorait tout de ce qu'il était, il ressentait avec certitude ce qu'il n'était pas et il voyait le tout assit devant lui au repas, les yeux fermés.

Il n'était pas religieux ou du moins, pas autant que son père qui était pasteur de la ville. Trop d'incohérences le dérangeait, car l'homme de foi et l'homme de la maison ne se ressemblaient pas. À la messe, le pasteur parlait d'amour, de soutient et de compassion. Le père, quant à lui, utilisait la peur et la menace pour le garder en ligne et possédait de fortes opinions, si puissantes, qu'elles ne pouvaient être tuent. Ses dessins n'étaient pas toujours aux goûts de l'homme sain et si la langue tranchante le heurtait, cette dernière lui ordonnait de ne pas pleurer. Les hommes ne pleurent pas. Ils ne dessinent pas. Ils se disciplinent, étudient, restent calme en tout temps... or else. Il était aussi surprenant pour le jeune Willow d'être témoin d'autant d'incompréhension et de haine de la part de son géniteur pour la famille voisine. Les Harvey étaient des pécheurs, des sorcières, des impertinents, des êtres bizarroïdes qu'il fallait à tout prix éviter. C'était sans doute pour cette raison qu'il s'avait fait de Gabe Harvey son ami. Rien n'avait à voir avec le fait que tous deux étaient mis de côté par les autres élèves, l'un pour être le fils d'une sorcière, l'autre pour être le fils du pasteur. Signe de rébellion numéro deux.

Pourquoi cet homme offrait-il sa miséricorde et son amour à ses fidèles pour ne rien laisser à lui, son fils ? Comment un homme pouvait être admiré et si détesté ? C'était à n'y rien comprendre dans son jeune cerveau en développement.

- Amen, dirent-ils à l'unissons.


- Maybe it's because of my mom. Maybe he hates her for leaving. I don't know.

Des branches sèches craquaient sous leurs pas alors qu'ils s'engouffraient un peu plus dans la forêt qui naissait passé la cours de leurs maisons. Gabe lâcha un probably tout en lui tendant la main pour lui offrir le joint qu'ils partageaient. Presque au même tempo, ils haussèrent les épaules et continuèrent sur un autre sujet.

À quinze ans, Willow avait réfléchi longtemps à la raison de son malheur et là avait été la réponse la plus plausible à son avis. Bien que la phrase avait été lancé sur un ton léger, le châtain avait senti le poids écrasé davantage son torse. Respirer était devenu une tâche au courant des dernières années. Tout comme ranger sa chambre, écouter en classe, dormir, vivre. Ce qui était devenu facile en contre partie était de pleurer dans la noirceur, se culpabiliser, se trouver misérable, détester son père, la ville et la froideur des gens. Personne ne semblait faire l'effort de l'atteindre émotionnellement, personne semblait vouloir lui apporter un peu de joie. Seul Gabe était une présence un minimum réconfortante, car avec lui, il pouvait oublier son existence et raconter mensonge sur mensonge pour garder sa tête hors de l'eau. S'inventé une version de lui-même sans son mal de vivre aidait à passer au travers la plupart des journées. Les autres jours... il fantasmait à l'idée de disparaître, de ne plus exister juste pour cesser cette douleur non pas intense, mais constante la rendant intolérable.

Ne pas répondre aux attentes d'un père pasteur et strict en plus de s'en éloigner encore et encore chaque jour lui pesait. Il savait qu'il ne serait jamais homme de foi, il savait qu'il voulait continuer de gribouiller, puis il y avait son homosexualité. Ce mot ne quittait jamais sa bouche et aucune allusion ou sous-entendu n'était verbalisé de sa part. Il en était terrifié.