I’m just a man I’m only flesh and bone

Qui suis-je ?
Eternelle question.

Enfant du système, depuis mes cinq ans j’ai bougé de foyer en foyer, sans trouver de famille pour m’adopter. Je n’étais pourtant pas un méchant garçon, j’étais juste du genre à être silencieux, ou du moins, à refuser d’adresser la parole aux êtres humains. En revanche, j’étais capable de raconter toute mes journées au moindre petit moineau qui osait se poser sur le rebord de ma fenêtre. Ça ne vend pas vraiment du rêve, un petit garçon qui ne parle pas, qui ne rit pas. On me trouvait bizarre, alors on tentait de me trouver un autre foyer, et c’était toujours la même rengaine. On me trouvait bizarre. Comme la fois où j’ai accepté de me faire arracher un doigt pour sauver la vie d’un renard qui s’était coincé dans un piège. Ce n’est qu’à mes 15 ans que j’ai réussis à trouver un foyer qui me gardera jusqu’à ma majorité. Ils étaient gentils, bienveillants, adoraient les animaux aussi, d’ailleurs, ils avaient une petite ferme près de Birch Creek, et je dois avouer que c’était les meilleures années de ma vie. C’était si bien là-bas, pas besoin de réfléchir, chaque jour au contact des animaux, apprenant de cette famille d’accueil le dur labeur de la ferme, et le bien-être de tous ces êtres nous entourant.

Globalement normal, j’étais bon à l’école. J’aimais bien apprendre, et j’aimais donner le meilleur de moi-même, donc assez facilement, j’étais bon et j’avais de bonnes notes. Je faisais toujours mes devoirs et je n’étais pas l’élève qui allait perturber la classe. Le seul problème c’est que je n’étais pas toujours doué pour la sociabilisation… Me faire des amis était une tâche ardue. Et pourtant, j’avais un pote, John, un gentil pote qui passait son temps à jouer à la salle d’arcade et à tenter de draguer les filles de notre classe mais sans grand succès. La légende raconte qu’il aurait réussit à embrasser Tasha au bal de fin d’année mais qu’ils se sont coincés mutuellement dans leurs appareils dentaires. Ridicules. Je n’étais pas là pour voir ça, cette nuit-là, une de nos vaches était en train de mettre bas et je l’assistais dans sa tâche. C’était si beau. En hommage, j’avais appelé le veau Tasha, mais elle ne l’avait pas très bien pris.

Une fois mes études secondaires terminées, j’ai pu décrocher une bourse pour entrer à l’école vétérinaire de Fairbanks. Je vivais sur le campus, et encore une fois, je ne me concentrais uniquement sur mes études. C’était la fin de ma vie en foyer et avec un naturel déconcertant, j’ai vite sorti ma famille d’accueil de mon esprit. Je ne les ai plus du tout recontactés depuis. Je voulais absolument réussir mes études, et me construire une vie à moi.
C’est là-bas que j’ai connu Lexy. Elle travaillait dans un café non loin de mon campus. Oh ce qu’elle était belle avec ses longs cheveux roux ondulés et ses grands yeux verts. Son petit nez retroussé, ses taches de rousseurs qui ressemblaient à des dizaines de balles rebondissantes sur ses joues rondes et sans cesse rouges soit à cause du froid, soit à cause de la gêne. C’était la première fois qu’un être humain suscitait réellement mon intérêt. J’avais déjà eu des petits flirts au lycée, on va dire que la puberté et les hormones faisaient leur travail avec efficacité, mais Lexy, c’était la première fille pour qui j’ai bégayé bêtement le jour où je voulais lui commander un café.

J’ai su qu’elle deviendrait ma femme le jour où je l’ai vu récupérer les restes des invendus, pour les offrir à un chien errant qui trainait régulièrement dans le quartier. C’est ce soir-là qu’elle m’expliqua qu’elle vivait non loin d’ici, dans un petit appartement et qu’elle ne pouvait pas se permettre de recueillir le chien, mais qu’elle s’occupait de lui tous les jours, dans cette ruelle. Le chien s’appelait Max, et c’était l’animal le plus gentil de la terre. Oh oui. Et a partir de ce jour, je m’occupais de Max a chaque fois que je le pouvais. Ce n’était même pas pour me faire bien voir par Lexy, mais uniquement pour le bien-être de l’animal et puis, il méritait mieux que de manger des bagels au pastrami invendus.
C’est tout naturellement qu’avec Lexy, on s’est pris un appartement à deux. Elle bossait, je suivais mes études, et j’avais un petit job à côté dans une librairie. Notre appartement était plus grand, alors nous n’avons pas hésité une seule seconde à adopter Max et le garder au chaud sur notre canapé. Notre vie était douce, et calme. J’avais 4 ans d’études à passer, et elle, elle voulait fonder une famille. Je n’avais rien contre, bien que pour moi tout ceci semblait totalement abstrait. Mais c’est ce qu’elle aimait chez moi, elle adorait ma manière d’être ailleurs et de ne pas comprendre l’humain. Elle adorait combien je ne me sentais jamais à ma place peut-importe où je me tenais. Elle aimait tout de moi, un peu trop d’ailleurs… On s’est mariés, très simplement, une petite union civile, juste pour dire d’être maris et femmes. Juste pour me dire qu’enfin, quelqu’un partageait mon nom. Et mine de rien… Tout ça… ça me plaisait.

Lexy n’avait pas de temps à perdre. Et j’étais tellement obnubilé par mes études que je n’ai même pas remarqué qu’elle avait cessé de prendre la pilule. Elle est vite tombée enceinte. Elle a joué la surprise, et je pense que j’ai mis bien longtemps avant de comprendre qu’elle m’avait fait cet enfant dans le dos. Aujourd’hui je sais, que tout ce qu’elle voulait, c’était avoir des enfants. Tout ça, c’était arrivé si vite. Il était hors de question que je me prive d’une vraie famille… Alors j’ai accepté, elle a gardé l’enfant… Et à 23 ans j’étais marié, étudiant, et papa d’un magnifique petit garçon qu’on a appelé Arthur. La vie était compliquée, entre Lexy, Max, Arthur, les études, le boulot, le loyer… J’avais l’impression de sombrer peu à peu, et de boire la tasse. Fort heureusement, Lexy était une bonne compagne, elle m’aidait et jouait son rôle de petite maman à la perfection. Elle me laissait tranquille quand je révisais, elle me laissait promener le chien pendant des heures le soir dans le parc non loin de l’appartement. Oui, elle me laissait faire tout ce que je voulais, car je lui avais offert tout ce qu’elle désirait : un enfant. Ouais… Bah je n’aurais pas cru qu’elle me fasse la même chose une deuxième fois. Oui. A mes 25 ans j’étais papa une seconde fois, d’un petit Louis cette fois. Encore un petit mec.

Lexy était confiante sur notre avenir. Je deviendrais un bon vétérinaire et nous aurons de bons revenus. Elle voulait juste être une maman jeune et être là aussi longtemps que possible pour ses enfants. Et je dois avouer que petit à petit je me suis pris au jeu. J’aime mes fils. Ils sont si beaux, si adorables. Quelques mois après la naissance de Louis j’ai été diplômé de l’école de vétérinaire, et j’ai vite été embauché dans la clinique de la ville. C’était un coup de chance et il semblait que malgré les difficultés que nous rencontrions, notre petite famille était heureuse et parvenait à s’en sortir. Moi, je ne savais plus trop où donner de la tête mais j’espérais pouvoir profiter enfin de jours plus paisibles maintenant que les études c’était terminé. Lexy savait toujours tout planifier, quand moi je voulais me laisser vivre. Alors, quand elle me prenait un peut trop la tête, j’attrapais la laisse de Max pour partir au parc avec mon fidèle ami canin, qui fut un peu notre cupidon. Max n’a jamais changé au fil du temps, bien que vieillissant c’était un brave chien, ressemblant à un épagneul breton, il suivait toujours ma cadence avec sa démarche souple.

Comme à chaque fois, arrivé dans le parc je m’allumais une cigarette et laissais Max faire sa vie pendant que je me posais sur un banc, et fermais les yeux en pensant à notre avenir. A Lexy qui me prenait de plus en plus la tête car elle désirait un troisième enfant, au boulot qui me demanderait beaucoup de présence car je devais faire mes preuves et me constituer une clientèle fidèle. Aux garçons qui grandissaient bien mais à qui il faudrait payer des études un jour… Je ne sais pas comment j’ai pu m’endormir malgré le froid, mais je crois que j’ai somnolé bien trop longtemps car j’ai été réveillé par le hurlement de Max. Un hurlement de douleur, et un bruit sourd, suivi d’un couinement.
D’un coup, je me suis levé en cherchant du regard mon chien, paniqué. Je crois que j’ai tourné trois fois sur moi-même avant de voir des mouvements plus loin derrière une haie. Un mec ricanait. Je me souviendrais toujours de ce ricanement. Un nouveau bruit sourd. Je me suis glacé, mon sang n’a fait qu’un tour et je me suis élancé dans la direction du mec. Il était là, debout devant mon chien en sang, un pied de biche à la main. Quand il m’a vu, il a tout de suite hurlé que le chien l’avait mordu et que la bête était incontrôlable. … Max était incapable de faire de mal à une mouche. Mes poings se sont serrés. Je n’ai même pas réfléchi une seule seconde et je me suis jeté sur lui comme un grizzly furax. J’ai hurlé en le frappant. Le pied de biche est tombé plus loin dans l’herbe, et moi je frappais comme jamais j’ai frappé quelqu’un. Toute ma haine, toute ma rage se déversait sur ce connard qui tabassait mon chien à coup de pied de biche.

Il fallut deux agents de police pour me séparer de l’homme inconscient au sol. C’était un drogué qui rodait souvent dans le parc, il ne manquerait à personne. Une fois séparé de lui, je me suis laissé retombé au sol devant mon chien. Mes yeux parcouraient rapidement son corps recroquevillé dans l’herbe humide du soir. Le cuir de son collier était souillé par le sang qui s’écoulait de sa gueule. Il semblait avoir un œil crevé, mais j’aurais juré qu’il me regardait. Il ne faisait plus de bruit, comme s’il n’avait plus la force d’avoir mal. Je tremblais, j’étais vétérinaire mais j’étais pourtant incapable d’agir. Peut-être parce que je savais que je ne pourrais rien faire pour l’aider, ou peut-être parce que j’étais incapable d’oser le secourir. Mon corps entier tremblait, je voyais flou, l’autre drogué m’avait donné par mal de coups aussi mais je ne les sentais pas encore. Je passais fébrilement ma main dans le pelage poisseux de mon meilleur ami, mes yeux se remplissant de larmes instantanément. Et je me mis à prier, à le supplier de rester avec moi, je lui demandais d’être fort, de rester là avec moi, je lui disais que j’arriverais à le soigner. Il m’a léché la main… Et c’était terminé. S’en était fini de longue vie de Max.
Un hurlement. J’avais tellement l’impression d’être en dehors de mon propre corps que je n’ai pas réalisé que c’était moi qui venais de hurler et de se jeter à nouveau sur le corps inconscient du drogué. Le coup de tazer qui suivit, suffit à me calmer… J’ai passé la nuit au poste. Le drogué à l’hôpital et Max… A passé sa nuit seul, son corps sans vie gisant encore dans le parc. Cette idée m’obsédait. Je ne parvenais pas à me calmer. J’ai passé la nuit à trembler et pleurer, à déblatérer des paroles insensées. Et vous savez quoi ? Ce connard de drogué à succombé à ses blessures pendant la nuit. Evidemment. Fucking karma.

Tout le reste se passa très vite. J’ai écopé de 10 ans ferme, et d’une sacrée amende. Autant vous dire que Lexy était furax. D’un, je n’allais pas pouvoir lui faire un troisième enfant, mais en plus de ça, j’allais finir à la prison de Anchorage à plus de 6h de voiture de Fairbanks. Quel enfer.
Autant vous dire que pour Lexy, le choix fut trrrrrrrès rapidement fait. Donc pour résumé, j’avais 26 ans, deux enfants, j’étais en prison pour 10 ans et j’avais à présent devant moi les papiers du divorce que je devais signer au plus vite, parce que vous comprenez, il était hors de questions qu’elle reste avec un meurtrier, quelle image cela donnerait-il aux garçons qui allaient grandir avec ça comme exemple ? Oui, je comprenais, non je n’allais pas me battre, oui j’allais signer, non je n’allais pas faire de bêtise, oui je prendrais soin de moi. Bisous. Au revoir.
J’étais de nouveau seul. Sans famille, abandonné dans un univers qui m’était totalement inconnu. Je n’avais aucune chance de m’isoler auprès des animaux, car là, il n’y avait que des humains, plus ou moins malsains. Parfois gentils. C’est finalement, pendant ces dix années que j’ai appris enfin à comprendre l’Homme et à l’accepter à mes côtés. J’ai dû le côtoyer, l’aimer, le haïr, l’embrasser, le frapper, l’accepter, le repousser, le craindre… La prison m’apprit tellement de choses. La prison m’a pris tellement de choses.
Un jour, j’ai volé trop près du soleil. Mes ailes n’ont pas fondu. Mais on m’a coupé deux autres doigts.

Dix années de ma vie, à apprendre la vraie vie dans une cage. Tel un lion, je tournais en rond, je me suis musclé, je me suis forgé. J’ai laissé ma barbe pousser. Je me suis amusé à me battre. Mais globalement je suis resté sage pendant dix ans, pour ressortir sans encombre. Et une fois dehors j’étais de nouveau perdu. Abandonné par la nouvelle famille que je m’étais faite là-bas. Je ne savais pas trop où je devrais aller. Je n’avais plus de nouvelles de Lexy, je ne savais pas où étaient mes enfants. Arthur devait avoir 13 ans et Louis 11 ans… j’avais loupé tellement de choses pour cette connerie… Non. Pas une connerie. C’était pour Max.
C’est tout naturellement que je suis d’abord retourné à Fairbanks, sur les lieux du crime. Je me suis recueilli à l’endroit où dix ans plus tôt, Max avait perdu la vie. Et où ma vie avait basculé. Je suis resté à Fairbanks, j’ai fait quelques remplacements à la clinique vétérinaire, mais quand ils se sont rappelé mon histoire, ils m’ont gentiment demandé de partir. J’avais besoin d’un nouveau départ. Avec l’argent que j’avais pu mettre de côté pendant ces mois, je me suis acheté une vieille voiture, un bon vieux 4X4 rouillé qui était rafistolé et j’ai repris la route.

Il me fallait une nouvelle vie, un endroit où aller. Alors j’ai roulé, longtemps, toujours en Alaska, sans réel but. J’avais l’impression d’être guidé par mes souvenirs en visitant des terres inconnues. D’étranges émotions m’emplissaient au fur et à mesure que les kilomètres défilaient au compteur… C’est un peu comme ça que je suis arrivé à Whitehaven. Je n’avais, je crois, jamais entendu parler de cette ville. Mais une fois que mes pieds ont foulé ces terres, j’avais l’impression d’être enfin chez moi. L’air ici, c’était mon air. Le paysage ici… C’était mon paysage. Je crois que j’ai enfin trouvé ce que je cherchais depuis toutes ces années. J’ai beau ne pas connaitre ces endroits, j’ai l’impression d’être déjà venu ici en rêve. Etrangement, je me sentais comme si j’appartenais cette ville.
C’était l’endroit parfait pour devenir moi-même. Avec un peu de chance, ils auront besoin d’un vétérinaire. Et je pourrais trouver un logement facilement.